INTENSE ÉTAT DE GRÂCE
Entre Art et Instinct

Art d'intensité et de passion, pratique culturelle propre à la société andalouse, le flamenco n'a de cesse de toucher l'âme et d'éveiller les sens... Depuis 15 ans, le Centre de Danse Flamenco Julia Cristina fait partie du paysage andalou de Montréal. En pleine préparation de sa démonstration annuelle – FLAMENCO DE LUCES , Una Corrida Goyesca, le 10 juin prochain au Cabaret du Lion d'Or – sa fondatrice nous entretient de ses orientations artistiques et de sa passion toujours renouvelée pour un art qui aide à vivre.

Comme un besoin vital

New York, 1985. Une troupe de danseurs de flamenco répète au Carnegie Hall. Dans la salle, une étudiante photographe ne sait pas encore que sa vie vient de changer. Suivant la troupe, la guitare et son instinct, elle laisse naître celle qui deviendra Julia Cristina. La danseuse raconte aujourd'hui cette genèse comme un envoûtement. «Je me suis sentie interpellée par cette énergie. Ça a été finalement une rencontre avec un morceau qui me manquait, artistiquement, et qui m'a attiré comme un aimant».

Aujourd'hui, après 25 ans de carrière, le flamenco est resté pour elle le mode d'expression privilégié pour développer avec l'autre, le spectateur, un moment d'éveil et d'affirmation personnelle. Dans l'intense expérience relatée par quiconque vit la rencontre avec le flamenco, «c'est l'authenticité du Moi qui est séduisante», explique Julia Cristina. L'expression incarnée des émotions séduit, au-delà de l'érotisme. L'on devine alors un monde sensible qui dépasse nécessairement le langage de l'amour. «Aujourd'hui, je n'ai plus à séduire ou à prouver ma valeur. Je danse parce que c'est là que je puise ma force, mon courage, pour affronter les aléas de la vie et du quotidien.»

Cette façon de vivre son art, Julia Cristina la transpose également dans son enseignement. La thérapie par le flamenco? Peut-être... Certainement, du moins, une volonté d'offrir, en plus de l'apprentissage d'un art et d'une pratique culturelle, un moyen d'équilibrer les tensions de l'existence et la joie de l'expression libre.

Une démarche artistique organique

Le flamenco est un art d'expression personnelle, mais il ne saurait se pratiquer dans la solitude. Le chant, la guitare et la danse sont, depuis les origines, imbriqués et tributaires les uns des autres. En cohérence avec ce patrimoine, Julia Cristina crée depuis plus de 20 ans avec le guitariste Pierre Le Duc. De son propre aveu, leur processus créatif relève davantage de l'envoûtement que d'une démarche de travail rationnelle. L'inverse aurait effectivement de quoi étonner, quand on sait ce qu'il faut d'abandon et d'écoute pour que la musique de l'un fasse vibrer la gestuelle de l'autre. «Je lui fais parfois partager mes découvertes musicales, ce qui m'émeut, au moment où nous entrons en studio pour travailler. Lui me dit 'montre-moi ce que tu veux faire'.» Pourrait-elle travailler avec un autre musicien? Une pause... «Mon flamenco survivrait mal à l'absence de sa musique. C'est imbriqué dans ma construction... Nous sommes de la même génération et nous avons eu un cheminement similaire. Même nos limites se complètent.»

Un second partenaire fait cependant sa place dans la démarche de Julia Cristina. La danseuse se fait cavalière depuis 2007 avec Zaz «El Lusi», monture de race lusitanienne typique des élevages de la péninsule ibérique. Julia Cristina plonge encore davantage dans les pratiques culturelles andalouses en étudiant un art équestre qui s'est développé en grande partie avec l'univers de la corrida. Cet élément apporte donc à la danse, en plus de l'art équestre, toute l'esthétique et la symbolique de la tauromachie. «Zaz me permet de toucher à une autre forme de force et d'énergie. Le travail physique de dressage renouvelle mon travail individuel et prolonge même mon propre corps : je suis le Centaure! Tenter d'insuffler les courbes du flamenco à un cheval représente un travail de souplesse, de subtilité et de communication avec le vivant qui a changé ma vie. Travailler le flamenco avec Pierre et Zaz a ceci de commun: le silence des mots. C'est à l'énergie kinétique, celle du mouvement, que je veux me brancher.»

Verra-t-on un jour le fruit de ce travail sous les projecteurs? Julia Cristina garde le secret sur d'éventuels développements. Ce style de secret dont on devine qu'il pourrait cacher les plus belles surprises...